De la nécessité de changer de modèle

Le modèle agro-industriel est aujourd’hui à bout de souffle. L’utilisation intensive de la chimie, des intrants et de la mécanisation a de lourdes conséquences sur nos écosystèmes, nos économies et nos sociétés. Il n’est désormais plus possible d’ignorer ces conséquences.

Le monde d’aujourd’hui voit se multiplier les crises sans parvenir à leur proposer des solutions globales. Dans une optique de développement durable, les défis à relever au XXIème siècle sont nombreux et complexes : crise climatique, crise environnementale, crise énergétique, crise démographique, alimentaire et nutritionnelle, crise économique et sociale…

De manière générale, la réponse donnée à ces différentes crises est la marchandisation des facteurs de production et des ressources naturelles, réponse qui alimente toujours plus la pauvreté et les inégalités à l’échelle mondiale. Celles-ci nourrissent les tensions et la violence qui explosent à travers la planète.

Dans un monde de plus en plus incertain, nos logiciels d’analyse des risques deviennent caducs et laissent la place à un fort sentiment de vulnérabilité et d’insécurité.

Dans ce contexte, il devient urgent de faire un pas de côté et de poser les bases d’un nouveau modèle de développement. Il ne s’agit plus aujourd’hui de solutionner un problème en aggravant les autres. Non, il faut au contraire trouver des solutions qui embrassent l’ensemble des défis du XXIème siècle. Construire la résilience au quotidien afin d’anticiper les risques et gérer les crises.

L’agroécologie et la permaculture avancent des solutions pertinentes et efficaces face à ces défis complexes. Elles proposent de redonner à l’agriculture son caractère multifonctionnel. Le métier de paysan retrouve ses lettres de noblesse. Celui qui travaille la terre redevient un acteur au cœur de la résilience de nos territoires.

 

Un nouveau modèle agricole

L’heure n’est plus aux constats. Les urgences sociales et écologiques nous intiment d’agir sans plus attendre.

Depuis plusieurs années, nous nous formons pour devenir des acteurs de la transition. Les Jardins de Brenne sont le résultat de nos parcours. Notre objectif est de démontrer qu’il est possible de produire en abondance une alimentation saine et de qualité tout en préservant, voire en régénérant, nos écosystèmes.

Pour arriver à notre modèle, les inspirations ont été nombreuses : l’agroécologie de Pierre Rabhi et celle de Miguel Altieri, l’approche permaculturelle de Charles et Perrine Hervé-Gruyer, le maraîchage bio-intensif d’Eliot Coleman et de Jean-Martin Fortier, l’agriculture de conservation et les travaux de Claude, Lydia et Emmanuel Bourguignon, les textes des anciens maraîchers parisiens du XIXème siècle…

La permaculture et l’agroécologie nous invitent à imiter le fonctionnement des systèmes naturels. En mettant en œuvre leurs principes, il est possible de créer des agroécosystèmes à la fois productifs, résilients et durables.

Plusieurs modèles agricoles ont d’ores et déjà démontré le potentiel de production des fermes conçues selon les principes de la permaculture. La Ferme biologique du Bec Hellouin, en Normandie, a notamment réalisé une étude avec l’INRA et AgroParisTech. Mise en œuvre pendant quatre années, cette étude a démontré la haute performance économique du micro-maraîchage permaculturel. Mais elle a également souligné la très importante technicité et les connaissances qui se cachent derrière de tels résultats.

Nous avons travaillé pendant deux ans sur la Ferme du Bec Hellouin, aux côtés de Charles et Perrine Hervé-Gruyer. Nous avons pu vivre pleinement cette nouvelle forme d’agriculture qui nous amène à penser que les performances économiques, sociales et environnementales s’enrichissent et se soutiennent mutuellement.

Outre-Atlantique, John Jeavons, Eliot Coleman et Jean-Martin Fortier ont contribué à formaliser les pratiques du micro-maraîchage bio-intensif. Le mot intensif fait peur en France et véhicule une image extrêmement négative. Il convient toutefois de le dédiaboliser et de prendre le temps de comprendre cette notion innovante de « bio-intensif ».

Cette approche innovante du maraîchage a donc été développée et formalisée par des maraîchers tels qu’Eliot Coleman aux Etats-Unis ou Jean-Martin Fortier au Québec. Eux-mêmes se sont inspirés de ce que faisaient les maraîchers parisiens du XIXème siècle, quand Paris était entouré d’une ceinture de maraîchage et que la ville était autonome en fruits et en légumes.

L’approche vise à intensifier les mécanismes du vivant pour produire beaucoup sur une petite surface et de manière quasiment exclusivement manuelle. Nous travaillons donc sur des planches permanentes, nous accordons un soin tout particulier à la santé de notre sol, nous densifions et associons les cultures… le but étant de créer un système productif mais aussi efficient, diversifié, durable et résilient.

Pourquoi intensif alors ? Parce que les modèles agroécologiques actuels sont souvent critiqués pour leur aspect extensif : la nécessité d’occuper une plus grande surface pour obtenir les mêmes niveaux de production que l’approche conventionnelle. Dans un contexte de raréfaction des terres agricoles, les pratiques extensives sont donc souvent décriées et spontanément éliminées de la liste des alternatives durables possibles. Le maraîchage bio-intensif permet de produire beaucoup sur une petite surface. Il est donc intensif. Mais contrairement à l’agriculture conventionnelle qui intensifie le recours aux intrants (produits phytosanitaires…) et aux tracteurs (pétrole), nous intensifions la connaissance du vivant, les observations et les processus biologiques. D’où le terme bio-intensif.

Grâce aux principes de la permaculture et aux outils du maraîchage bio-intensif, notre agriculture retrouve son caractère multifonctionnel et démontre qu’il est possible de produire en abondance une alimentation de qualité tout en régénérant nos sols, en proposant des solutions d’adaptation et d’atténuation du changement climatique, en améliorant la qualité de l’air et de l’eau, en préservant la biodiversité, en créant de l’emploi, en développant du lien social, en sensibilisant nos clients sur nos valeurs et nos démarches, en formant les agriculteurs de demain…